Le 1er avril 1982, la presse locale révèle un système opaque. L’affaire de la caisse noire de l’AS Saint-Etienne éclate. Ce scandale marquera à jamais l’histoire du club forézien.

Le club mythique des Verts, auréolé de gloire dans les années 70, bascule dans la tourmente en 1982. La caisse noire de l’AS Saint-Etienne devient le symbole d’un football en pleine mutation. Derrière les titres et les exploits européens, une organisation illégale de primes et de salaires détournés se met en place. À sa tête, Roger Rocher, figure tutélaire et président emblématique. Ce système frauduleux aura des conséquences sportives, humaines et judiciaires irréversibles.
La naissance d’une légende… et de dérives
Roger Rocher n’est pas un dirigeant comme les autres. Ouvrier devenu entrepreneur, il incarne l’ascension sociale rêvée. En 1961, il prend la tête de l’AS Saint-Etienne. Il restructure, modernise, et surtout fait gagner. Sous son règne, les Verts décrochent dix titres majeurs. Geoffroy-Guichard devient un temple du football français. Pourtant, dans l’ombre, un autre visage du club se dessine.
Dès 1947, une caisse noire apparaît au club. D’abord discrète, elle devient un outil central du fonctionnement du club à partir de 1977. Rocher, en quête de résultats immédiats, se détourne des jeunes du centre de formation. Il recrute à prix d’or des stars comme Platini, Rep ou Janvion. Pour les garder, il faut payer davantage. Et c’est là que la caisse noire entre en scène.
L’explosion du scandale : la bombe Loire-Matin
Le 1er avril 1982, le journal Loire-Matin publie des révélations fracassantes. Une caisse noire d’environ 20 millions de francs aurait permis de verser des compléments de salaires non déclarés. Ces sommes proviendraient des recettes des boutiques, billetteries et coupes européennes.

Roger Rocher et Robert Herbin Crédits le Peuple vert
Très vite, le nom de Rocher est au cœur de l’affaire. Bien que nié par l’intéressé, il est soupçonné d’avoir profité personnellement de ces fonds. L’entraîneur Robert Herbin, pourtant figure du succès stéphanois, aussi impliqué. Les témoignages s’accumulent, les documents surgissent. Deux membres du conseil d’administration, Buffard et Fieloux, jettent de l’huile sur le feu en adressant une lettre au procureur. Le club vacille.
Le départ précipité de l’homme à la pipe
La pression devient insoutenable. Le 17 mai 1982, lors d’un conseil d’administration houleux, Roger Rocher démissionne. Il laisse derrière lui un club affaibli, des comptes dans le rouge et une image ternie. L’AS Saint-Etienne perd ses meilleurs éléments. Larios, Platini, Janvion quittent le navire. Les supporters se détournent peu à peu de leur équipe.
En 1984, le couperet tombe : l’ASSE est reléguée en deuxième division. Une descente symbolique qui marque la fin d’une époque. La caisse noire de l’AS Saint-Etienne a brisé la dynamique d’un club au sommet.
Le procès d’une décennie
Il faudra attendre 1990 pour que le procès s’ouvre enfin. Neuf longues années d’enquête, de pressions politiques et de tractations en coulisses. La Fédération, soucieuse de ne pas perturber l’équipe de France, tente d’étouffer l’affaire. La justice, elle, poursuit son travail.
Le verdict tombe le 29 juin 1990. Roger Rocher écope de quatre ans de prison, dont quatre mois ferme. Il est aussi condamné à 800 000 francs d’amende. Les joueurs impliqués – Platini, Larios, Janvion, Piazza – reçoivent principalement des amendes. Herbin, de son côté, est reconnu coupable de perception illégale de primes.
L’enquête révèle aussi des ramifications politiques. Deux figures locales, Neuwirth et Durafour, auraient reçu des fonds pour leurs campagnes. Le scandale dépasse le simple cadre sportif. La caisse noire devient une affaire d’État miniature.
Une chute personnelle dramatique
Rocher, accablé, perd tout. Son entreprise est vendue à bas prix. Sa maison est cédée. Même ses trophées partent aux enchères. L’homme, adulé quelques années plus tôt, devient paria. À l’automne 1991, Mitterrand lui accorde une grâce présidentielle. Mais le mal est fait. Rocher ne remettra jamais les pieds à Geoffroy-Guichard.
En 1993, lors de son jubilé, il confesse ses erreurs. Il reconnaît que sa mégalomanie a coûté cher au club. Il meurt en 1997, emportant avec lui les secrets d’une époque révolue. Malgré tout, les Stéphanois lui rendent un hommage poignant. L’homme à la pipe restera pour beaucoup celui qui a fait rêver la ville.
L’héritage de la caisse noire de l’AS Saint-Etienne
Le club, lui, mettra des années à se relever. Il faudra attendre 2013 pour qu’un nouveau trophée vienne garnir l’armoire des Verts. La caisse noire de l’AS Saint-Etienne reste une cicatrice ouverte. Ce scandale a brisé une dynamique, terni une légende et plongé le club dans l’anonymat. Il a aussi révélé les failles d’un système trop axé sur la gloire immédiate.
Aujourd’hui encore, 6 millions de francs n’ont jamais été retrouvés. Le mystère demeure. La transparence, devenue un mot d’ordre dans les clubs, tire en partie ses racines de cette affaire.
En filigrane, cette affaire questionne encore les dérives du foot-business et pourrait ouvrir une réflexion sur les autres scandales financiers du football français.
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