Marc Levy est un ancien gardien de l’Olympique de Marseille. En 1981, le club fait faillite et est sur le point de disparaître. Pour espérer rester professionnel, l’OM doit se maintenir en D2. Pour cela, le club demande à ses jeunes espoirs de finir la saison afin de sauver l’équipe. C’est la période des Minots.

Marc Levy, Gardien à l’OM durant la période des Minots
1ère partie, Il faut sauver l’OM !
Vous avez grandi à Marseille. À quel moment avez-vous compris que le football allait devenir une passion ?
Je suis un Marseillais pure souche. Mon père était gardien de but et très jeune, il m’a inscrit dans mon premier club, l’AS Sainte-Marguerite. J’avais huit ans. J’ai commencé comme gardien parce que j’étais assez grand pour mon âge.
Votre père était gardien de but. Quel a été son rôle dans votre parcours ?
Le rôle de mon père a été de me transmettre sa passion pour le football. Il avait deux grandes passions : la musique et le foot. Quand on est enfant, on a forcément des références. Ensuite, la vie a fait que j’ai continué dans cette voie. Est-ce le hasard ? Peut-être. En tout cas, j’ai poursuivi dans le football sans vraiment me poser de questions.
Vous rejoignez l’OM à l’âge de 15 ans. Avec votre génération, celle des Minots, vous remportez la Coupe Gambardella en 1979 pour la première fois de l’histoire du club. À quel point cette victoire a-t-elle marqué votre génération ?
Elle a surtout marqué le club. Nous avons fait deux campagnes en Gambardella avec un parcours exceptionnel. On était presque tous au centre de formation, on se connaissait par cœur. On ne pensait pas à l’enjeu, on jouait juste pour gagner.

Victoire de l’OM coupe Gambardella 1979 Image OM
La pression s’est-elle fait sentir lors de cette campagne ?
Non, personne ne nous attendait. Ce qui comptait, c’était l’équipe première. Nous, les jeunes, on jouait pour se faire un nom, pour espérer devenir professionnels. Gagner la Gambardella, c’était bien, mais notre seul souci, c’était de faire du football notre métier. Beaucoup n’ont pas eu cette chance.
À cette même période, l’OM traverse une grave crise financière et sportive. Comment avez-vous vécu cette situation en tant qu’espoir ?
En 1979-1980, j’étais troisième gardien derrière Gérard Migeon et René Charrier. En mai 1980, le club descend en D2. Un nouveau président, Carlini, arrive avec une nouvelle équipe dirigeante. Au départ, on ne sait pas que ça va mal se passer car beaucoup de joueurs de D1 restent. Mais très vite, la situation se détériore. Les joueurs ne sont plus payés à partir de septembre-octobre.
Comment vivez-vous cela ?
Nous, les jeunes, on était en troisième division avec la génération Gambardella. Mais la situation devenait de plus en plus compliquée. Seuls les joueurs stagiaires étaient payés.
Le 7 avril, tout bascule. L’OM est mis en liquidation judiciaire. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé ce jour-là ?

Après l’entraînement, on nous réunit sous la tribune Jean-Bouin du Vélodrome. Il y avait tout l’OM : joueurs, salariés, secrétaires, staff… Puis un liquidateur et les dirigeants nous annoncent la liquidation judiciaire. C’est un moment marquant. Le liquidateur ouvre sa sacoche et commence à énumérer tous les noms des employés pour les déclarer au chômage.
Il dit ensuite : “Seuls peuvent rester pour finir les six derniers matchs de la saison” – et il annonce les noms des joueurs stagiaires et des joueurs du centre de formation.
Après cette annonce, il n’y avait plus rien. Ceux qui pouvaient rester devaient donner leur accord. On pouvait refuser. Mais si on refusait, il n’y aurait plus d’OM. Le club aurait dû repartir en division d’honneur régionale.
On n’a pas tergiversé longtemps. On a dit : “OK, on joue.” Le seul problème, c’est qu’on n’était que 12 joueurs… et sans gardien remplaçant plus un entraineur. C’est tombé sur nous, mais ça aurait pu être n’importe qui d’autre.
Votre premier match avec l’équipe première, comment ça s’est passé ?
On nous annonce que le premier match se jouera au Vélodrome contre Grenoble. On n’a eu accès au stade qu’à partir de 17h. Quelqu’un de la mairie a ouvert le stade, et à 22h30, il devait être éteint et fermé. Quand on est arrivés, une collation nous attendait. On s’est préparés, et à 20h, on a joué notre premier match en D2.
Miracle : on a gagné 1-0 ! Le mercredi, c’était la catastrophe… et après le match, on est devenus des héros. C’est comme ça, Marseille. Les supporters étaient contents que les jeunes aient joué. Mais il ne restait que nous, les jeunes.
On était douze mecs qui essayaient juste de sauver l’OM pour qu’un président soit trouvé l’année suivante, et que le club reparte en D2. Ce n’était pas pour avoir une grande équipe, juste pour exister encore.
Sur ces 6 matchs, vous affrontez notamment Grenoble, Créteil, Montpellier… Vous étiez préparés ?
On savait à peu près contre qui on allait jouer, mais on ne connaissait pas vraiment nos adversaires. On n’était pas prêts à jouer dans ces conditions, mais on l’a fait, parce qu’on ne pouvait pas laisser tomber l’OM. Depuis que nous étions petits, nous vivions OM. Alors on est allé sur le terrain, et on a gagné.
Pour votre second match, vous allez à Corbeil. Comment se passe ce déplacement ?
À l’époque, on prenait les vieux trains. Il fallait partir à 5h du matin pour jouer à 20h. On est arrivés à Corbeil vers 16h, il faisait un froid glacial, il pleuvait. On a trouvé un bar, une petite salle sans chauffage. Ce n’était pas le Sud ! On s’est gelés, on a pris un café, puis on est allés jouer. On a fait match nul là-bas.
Ce sont des moments qui vous marquent. Vous vous levez tôt, vous vous donnez pour quelque chose. Pour nous, c’était simple : il s’agissait de sauver un club. Ce n’était pas la mort, mais il fallait le faire. Et on y est arrivés : Nous n’avons perdu aucun des six matchs que nous devions jouer.
Pendant ces six matchs décisifs, quelle était l’ambiance dans le vestiaire ?
L’ambiance était très bonne ! On avait une vraie cohésion. On était extrêmement unis. Pas forcément les meilleurs au foot, mais en tant que groupe, on était costauds. C’est pour ça qu’on a réussi.

Equipe des Minots
Les autres équipes avaient peur de vous ?
Pas sur les premiers matchs, parce qu’au début, personne ne nous connaissait. Mais ensuite, on a eu une certaine réputation. C’est vrai qu’on avait une défense rugueuse. À l’époque, l’arbitrage n’était pas le même… Aujourd’hui, certains auraient pris six mois de suspension. On n’était pas des enfants de chœur !
Le public s’est-il remis à soutenir l’équipe ?
Oui, petit à petit, les gens ont recommencé à suivre l’équipe. Ils étaient contents de retrouver leur club. Marseille vit pour l’OM. Il y a toujours une effervescence, une énergie.
En tant que Minots du club, ressentiez-vous un amour particulier du public ?
Au début, non. Sur le terrain, on se contentait de jouer. Mais lors du dernier match contre Montpellier, là, il y a eu un vrai engouement. On a joué devant 35 000 personnes.
Nous avons eu une place spéciale dans le cœur des supporters, parce que nous étions “du cru”. On sortait du stade, on allait boire un café à Saint-Pierre, à Saint-Menet… Les gens nous croisaient tous les jours. On était des Marseillais, tout simplement.
Après votre exploit, l’OM retrouve un président. Comment s’est passée l’année suivante ?
L’OM a trouvé un nouveau président. Sans ces victoires, il n’y aurait peut-être plus de club. Finalement, ils ont trouvé M. Carieu. Il n’a pas mis énormément d’argent, il n’a pas fait venir Beckenbauer ou je ne sais qui. Non. Il a dit : “On va repartir avec les moyens du club, avec les gars qui sont là, ceux qui ont fait ces six matchs. On va en faire 30 avec eux.”
Et le club a redémarré doucement. Après quatre ans passés en D2, on est remontés en 1984.
Propos recueillis par Raphaël Biancotto.
Voir aussi notre article sur : Les Minots de l’OM : Quand la jeunesse marseillaise a défié Paris